De la prison à l’itinérance : Fin d’une trajectoire périlleuse | Un chez‑soi d’abord
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Un ex-détenu aide à tracer un nouveau parcours pour d’autres personnes à risque d’itinérance

05 novembre 2021

EN BREF

  • Jusqu’à 30 % des personnes incarcérées au Canada n’ont pas d’endroit où aller après leur mise en liberté
  • Le nombre limité de lits dans les centres d’hébergement et le manque de ressources augmentent le risque d’itinérance pour les personnes récemment libérées de prison
  • Une équipe composée de défenseurs des droits humains, de spécialistes et d’un ex-détenu ayant une expérience vécue s’efforce de changer le parcours des ex-détenus à risque d’itinérance
L’ex-détenu Lawrence Da Silva (à gauche) participe à un laboratoire de solutions avec Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada (à droite).

« Entre 10 et 30 % des personnes qui sont libérées d’un établissement fédéral n’ont nulle part où aller passer la nuit en sortant, affirme Lise Clément, conseillère principale pour le Lansdowne Consulting Group. Elles ont purgé une longue peine et se retrouvent souvent sans pièces d’identité, sans argent et sans compte bancaire. Même réserver une chambre de motel peut s’avérer difficile. Trop souvent, leurs seules options sont les centres d’hébergement ou la rue. »

« Pendant les 2 ou 3 premiers mois, j’ai habité une chambre de motel, grâce à l’argent que j’avais économisé en prison, raconte Lawrence Da Silva, un ex-détenu. Il m’est aussi arrivé d’être sans abri. »

L’histoire de Lawrence est loin d’être unique. Au Canada, plus de 100 personnes détenues sortent des établissements fédéraux chaque jour. Souvent, elles n’ont guère de soutien, voire aucun, pour les aider à réintégrer la société. Trouver un refuge est habituellement la priorité absolue et leur plus grand défi.

Pour aider à changer cette réalité, le Lansdowne Consulting Group anime un laboratoire de solutions. De la prison à l’itinérance : Mettre fin à une trajectoire périlleuse explore les options de logement pour les Canadiennes et Canadiens qui quittent le système carcéral. On y cherche des moyens pratiques d’améliorer l’accès au logement pour les personnes qui sont sorties de prison et d’augmenter l’offre de logements.

L’équipe de projet du laboratoire comprend :

  • La Société John Howard du Canada (des représentants des sections de l’Alberta, de Kingston, d’Edmonton et de Toronto)
  • Les Associations nationales intéressées à la justice criminelle
  • Sécurité publique Canada, Service correctionnel Canada
  • Emploi et Développement social Canada

Lawrence représente des personnes qui ont été détenues et qui ont une expérience vécue de l’itinérance.

 

Trouver un milieu de vie convenable est essentiel pour les personnes récemment libérées de prison

« Nous savons que c’est pendant les 60 premiers jours suivant la libération que le risque de récidive est le plus élevé, surtout lorsque les personnes sont en situation d’itinérance », explique Julie Langan, directrice générale de la Société John Howard de Kingston et sa région. La ville de l’est de l’Ontario compte 6 établissements fédéraux et, par rapport à de nombreuses autres collectivités, abrite une population relativement élevée de personnes qui ont déjà séjourné en prison.

Un sondage de 2010 (PDF) (en anglais seulement) réalisé auprès de personnes dans les jours suivant leur libération de prisons de la région de Toronto a révélé ce qui suit :

  • 16,4 % des personnes qui habitaient un logement avant d’être incarcérées prévoyaient être sans abri au moment de leur libération;
  • 85,5 % des personnes qui étaient en situation d’itinérance avant leur incarcération prévoyaient être de nouveau sans abri au moment de leur libération.

« Cela se résume souvent au nombre de lits d’hébergement, ajoute-t-elle. Il est souvent difficile pour les personnes détenues d’accéder au système d’hébergement. Les centres d’hébergement n’offrent pas un milieu de vie sain. On y consomme souvent des drogues et de l’alcool, ce qui enfreint les conditions de libération conditionnelle, ce n’est pas un environnement sain pour un ex-détenu. »

 

Un vaste soutien pour briser le cycle

C’est un problème que Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada, ne connaît que trop bien. « Pour tant de personnes qui se sont retrouvées en prison, les jeux sont faits avant même leur libération, affirme Mme Latimer.

Elle espère que le laboratoire trouvera des moyens de faire tourner le vent en leur faveur et d’accroître leurs chances de réintégrer avec succès la société.

Lancé en octobre 2020, le laboratoire s’est rapidement élargi pour inclure plus de 40 parties prenantes. Il a mobilisé des administrations municipales, des organismes sans but lucratif locaux, des fournisseurs de logements, un fournisseur de logements métis à Edmonton, Habitat pour l’humanité Canada, des philanthropes et des constructeurs privés.

Pour tant de personnes qui se sont retrouvées en prison, les jeux sont faits avant même leur libération, affirme Mme Latimer.
Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada

Les obstacles sont systémiques et peuvent être insurmontables pour les personnes qui sortent de prison. La discrimination et la marginalisation figurent en haut de la liste. De nombreux propriétaires-bailleurs cherchent le nom de leurs locataires potentiels dans Google et ne choisiront personne ayant un casier judiciaire. De même, de nombreux ensembles de logements communautaires ont en place des politiques « sans criminalité » et n’acceptent pas de locataires qui ont un casier judiciaire. Le fait de ne pas avoir de pièces d’identité ni d’emploi s’ajoute aux obstacles auxquels font face les ex-détenus.

Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada, dit qu’avec des solutions comme des micromaisons et des conteneurs d’expédition, les logements pourraient suivre les ex-détenues.

« Ici, il est très important d’avoir des pièces d’identité », soutient Lawrence, un ex-détenu ayant une expérience vécue de l’itinérance qui agit à titre d’animateur et d’expert pour le projet. « J’ai connu de véritables difficultés lorsque j’ai présenté une demande de carte d’assurance-maladie et d’aide sociale. Lorsque j’ai été libéré, j’avais un certificat de naissance, mais rien d’autre. »

 

Histoire de Lawrence

L’histoire de Lawrence est classique. Libéré après avoir purgé une peine de 19 ans d’emprisonnement, il a essayé de louer une chambre de motel, mais le fait qu’il n’avait pas de pièces d’identité a créé des problèmes. Heureusement, un appel à la Société John Howard a permis de régler la question.

« Après ma libération, j’ai choisi de déménager à Kingston, explique Lawrence. Je voulais rester loin de mes anciens amis et associés de Toronto qui faisaient partie de ma vie avant mon incarcération. Pendant les 2 ou 3 premiers mois, j’ai habité une chambre de motel, grâce à l’argent que j’avais économisé en prison. Il m’est aussi arrivé d’être sans abri, car je ne pouvais pas retourner dans mon milieu d’avant. J’avais vraiment l’impression que cela m’aurait ramené en prison. Après plusieurs mois, j’ai enfin pu m’installer dans un petit appartement situé dans un quartier dangereux. »

Quelques semaines plus tard, il s’est fait voler toutes ses économies lors d’une entrée par effraction à son appartement.

« J’étais dévasté, se souvient-il. Mais j’ai dû panser mes plaies et continuer d’avancer. Je sentais que je devais quitter Kingston, sinon j’allais m’en prendre à quelqu’un pour avoir volé l’argent que j’avais économisé pour essayer de m’en sortir. Là où j’habitais, les gens consommaient aussi beaucoup de drogues et il y avait d’autres trucs dont je voulais m’éloigner. »

Dans le cadre de son travail pour le laboratoire de solutions, Lawrence a coanimé une série de balados dans lesquels des personnes qui ont séjourné en prison ont parlé de leur expérience de réintégration dans la collectivité.

Lawrence mentionne qu’il a vécu à 12 adresses différentes depuis sa libération il y a 4 ans. Il a dû déménager souvent pour se rapprocher des quelques possibilités d’emploi qui lui étaient offertes.

« La situation est beaucoup plus stable depuis quelques années. En ce moment, je vis à Ottawa avec un vieil ami et je travaille comme gestionnaire immobilier. Le fait d’avoir aujourd’hui un revenu me rassure beaucoup. Toutefois, je ne me sentirai vraiment en sécurité que lorsque j’aurai une maison ou un appartement à mon nom. »

Lawrence souffre d’un trouble déficitaire de l’attention et d’un trouble de stress post-traumatique grave en raison de ses expériences avant et après son incarcération, notamment des agressions mettant la vie en danger et 2 580 jours en isolement cellulaire.

« À ma sortie, je ressentais beaucoup d’anxiété. On ne m’a fourni que 2 semaines d’approvisionnement en médicaments. J’ai dû demander à un urgentologue de me donner une ordonnance, ce qui n’était pas idéal dans ma situation. J’ai maintenant un chien d’assistance, mais je suis toujours inscrit à la liste d’attente pour avoir accès à un médecin. »

Sans logement sûr, l’anxiété et la tension sont constantes. Vous ne savez tout simplement pas ce qui vous attend.
Lawrence, ex-détenu ayant une expérience vécue de l’itinérance et animateur pair du laboratoire de solutions

Dans le cadre de son travail pour le laboratoire de solutions, Lawrence a coanimé une série de balados. Des personnes qui sont ou ont été en prison ont parlé de leur expérience carcérale et de leur réintégration dans la collectivité.

Des entrevues supplémentaires avec d’ex-détenus ayant connu l’itinérance ont permis à l’équipe du projet de recueillir de précieux renseignements. Emploi et Développement social Canada a fourni du financement pour que les personnes interrogées puissent être rémunérées pour leur temps.

 

Les solutions de logement peuvent comprendre des micromaisons et des conteneurs d’expédition

« Nous avons terminé la partie de notre travail qui consiste à recueillir de l’information, indique Mme Clément. Nous disposons maintenant d’une liste de solutions plausibles. Notre prochaine tâche sera de présenter ces solutions aux parties prenantes pour voir s’il y a quelque chose qui mobilise leur énergie. »

La construction de micromaisons avec la participation de personnes qui sont ou ont été en prison est l’une des solutions à l’étude. D’autres solutions comprennent la conversion de conteneurs d’expédition en logements et la rénovation d’immeubles désaffectés.

Selon Lise Clément, conseillère principale pour le Lansdowne Consulting Group, le laboratoire de solutions a permis de trouver beaucoup de bonnes idées. La prochaine étape consiste à les présenter aux parties prenantes pour voir lesquelles conviendront.

Mme Latimer souligne que les micromaisons et les conteneurs peuvent suivre les ex-détenus, ce qui réduit la concurrence pour le logement abordable dans la collectivité.

« Nous avons trouvé beaucoup de bonnes idées, affirme Mme Clément. Nous devons maintenant voir lesquelles conviendront. Pourrions-nous construire de petites maisons dans le système carcéral et nous associer à des organismes comme Habitat pour l’humanité ou à des organisations autochtones pour mettre cette approche à l’essai? Est-il possible de travailler avec les hôtels ou les motels pour les prendre en charge, les moderniser et les améliorer afin que les ex-détenus aient un endroit où vivre lorsqu’ils réintègrent la société? »

 

« Logement d’abord » et autres mesures de soutien

Toutes les personnes qui participent au projet s’entendent sur l’approche « Logement d’abord », qui sous-tend la stratégie de lutte contre l’itinérance du gouvernement fédéral. Logement d’abord consiste à retirer rapidement de la rue ou des refuges d’urgence les personnes en situation d’itinérance pour les installer dans des logements permanents tout en leur offrant le soutien nécessaire. Lorsque la situation de logement d’une personne est stable, celle-ci se trouve dans un contexte favorable pour recevoir des services. Il est alors possible de traiter certains problèmes qui touchent fréquemment les personnes qui se retrouvent en situation d’itinérance de façon chronique ou épisodique.

« Une partie du processus doit comprendre la présentation des services sociaux afin d’aider ces personnes à trouver un emploi, à gérer la prise de médicaments, à lutter contre la toxicomanie et à faire face à d’autres problèmes, à apprendre comment prendre les transports en commun locaux et ainsi de suite, poursuit Mme Clément. Toutefois, si nous pouvons résoudre le problème de l’offre de logements, nous pouvons aussi trouver des mesures de soutien pendant ce parcours. »

Malgré l’ampleur des difficultés rencontrées, le niveau d’enthousiasme et d’engagement à l’égard du projet est palpable.

« Nous croyons que ce projet mènera à des solutions concrètes qui profiteront tant aux personnes qui souhaitent réintégrer avec succès la collectivité et y contribuer après leur incarcération qu’aux collectivités elles-mêmes », soutient Mme Latimer.

Julie Langan, de la Société John Howard de Kingston et sa région, dit que la compréhension des défis auxquels font face les ex-détenus représente une étape importante dans la recherche de moyens pour les soutenir.

Julie Langan, de la Société John Howard de Kingston et sa région, considère également que le projet est très prometteur.

« J’espère qu’à la fin du processus, nous aurons écouté les témoignages des personnes et entendu celles qui ont séjourné en prison, et que nous comprendrons les défis auxquels elles font face », dit-elle.

« Il s’agit de l’une des populations les plus difficiles à atteindre et à soutenir. Être capable de les soutenir et de contribuer à la sécurité de la collectivité est un travail très gratifiant. J’espère que nous pourrons trouver des solutions pratiques et des mesures proactives à mettre en place pour apporter des changements positifs. »

Lawrence est sans doute la personne la plus optimiste et la plus déterminée à changer les choses.

« Je crois vraiment que nous pouvons y arriver, affirme-t-il. Certaines personnes ne peuvent pas retourner dans leur famille ou leur réserve lorsqu’elles sont libérées. J’aimerais qu’il existe différentes solutions pour elles. Il y a tant de bonnes idées sur ce que nous pourrions faire, mais il faut un grand changement. Nous devons aider les ex-détenus à faire la transition vers l’employabilité. Il y a de l’espoir pour l’avenir. Donner un espoir concret aux gens, c’est leur donner une bouffée d’air frais. »

FAITS SAILLANTS

  • « De la prison à l’itinérance : Mettre fin à une trajectoire périlleuse » a reçu du financement dans le cadre des laboratoires de solutions, une initiative de la Stratégie nationale sur le logement.
  • L’objectif de cette initiative de la Stratégie nationale sur le logement est d’élaborer des solutions de classe mondiale aux problèmes complexes en matière de logement de manière à contribuer aux domaines d’intervention prioritaires de la Stratégie.
  • La Société John Howard joue un rôle important dans la sensibilisation du public, les services communautaires et la promotion d’une réforme du système de justice pénale. Elle vise un système correctionnel qui protège les membres de la collectivité tout en permettant aux personnes délinquantes qui ont purgé leur peine de réintégrer la société et d’y participer de façon constructive.
  • Ce laboratoire de solutions élabore une feuille de route pour les solutions pratiques visant à accroître la disponibilité et l’accès à des logements convenables pour les Canadiennes et Canadiens qui quittent le système carcéral fédéral.

POUR EN SAVOIR PLUS